. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pré-apocalypse
Each step I left behind, each road you know is mine.

« Alors, Blake, toujours d'aussi mauvaise humeur ? »
« Dégage. »

Astoria. Un prénom bien original et auquel il était assez difficile d'apposer une véritable origine. Tour à tour on parvenait à lui prêter un lien avec la mythologie, d'autres fois avec des étoiles composant des constellations. Dans tous les cas, rien de très conventionnel. Mais les choses étaient toutes autres. La jeune femme tenait en vérité son prénom du London Astoria, mythique salle de concert anglaise devant laquelle ses parents s'étaient rencontrés bien des années plus tôt, le vendredi 27 mai 1994. A cette date,Radiohead était à l'affiche pour enregistrer son tout premier album live. A la fin du concert, Ashley Cartright perdit de vue son groupe d'amis dans la foule ; Alexander Blake croisa alors sa route par pur hasard. A partir de cet instant, ils ne se quittèrent plus. Jeune américaine de 28 ans, Ashley avait quitté son pays natal et la ville de Grand Rapids d'où elle était originaire pour vivre sa vie outre Atlantique. Alexander, quant à lui, tout juste deux ans de plus qu'elle, était de passage à Londres pour seulement quelques jours. Il abandonna tous ses projets suite à cette rencontre.

. . . . . . . . . .
LONDRES - UNITED KINGDOM
. . . . . . . . . .

31 décembre 1997 || Astoria vint au monde un peu plus de trois ans après leur rencontre. Les choses paraissaient trop belles, et leur vie bien réglée comme une horloge. Tout se passait bien. Sans doute trop pour que cela dure indéfiniment. Bientôt leur couple commença à s'enliser dans une routine assez morne, entre les absences répétitives d'Alexander, puis celles d'Ashley, le tout ponctué de repas annulés à la dernière minute et de quelques rares moments passés en famille.

24 janvier 2008 || Après des années de vie commune et un mariage certes heureux les premiers temps, le couple Blake divorça. La décision fut prise d'un commun accord, ce qui eu pour effet de laisser tout de même la porte ouverte à des relations, si ce n'était chaleureuses, du moins cordiales. Dans le fond, cela ne changea pas grand chose à la vie d'Astoria qui se débrouillait déjà plus ou moins seule depuis quelques temps, entre un père toujours absent pour son travail et une mère comblant son ennui comme elle le pouvait - mais sans véritablement chercher à s'occuper de sa fille. Dégoûtée d'avoir « gâché toutes ces années à Londres pour rien », Ashley pris la décision de rentrer aux Etats-Unis, alors qu'Astoria, qui n'avait jamais véritablement pris la peine de trouver un moyen de s'entendre avec sa mère, demanda à ce qu'elle ne soit pas contrainte de la suivre. Elle resta alors avec son père, qui poursuivit la vie qu'il avait toujours menée, se déplaçant beaucoup ; la maison était devenue d'autant plus vide. Quelques mois plus tard, comme un ironique rappel du destin, le London Astoria fermait également ses portes.

. . . . . . . . . .
GRAND RAPIDS - USA
. . . . . . . . . .

2011 || Astoria fut une nouvelle fois obligée de faire un choix. Son père était contraint de changer de pays pour des raisons professionnelles, et elle avait comme option de le suivre ou de partir retrouver sa mère aux Etats-Unis. Cette dernière n'avait de cesse de la couvrir de messages et d'appels téléphoniques depuis qu'elle avait appris la nouvelle de la mutation prochaine de son ex mari pour Singapour. Autant dire que la perspective de cohabiter avec la nouvelle compagne de son père n'enchantait guère la jeune Astoria. Ainsi, la décision fut prise et la petite londonienne s'exila dans le Michigan, plus précisément à Grand Rapids. Mais à peine arriva-t-elle sur le sol américain qu'elle apprit que sa mère était entrain de refaire sa vie. Pire, un mariage semblait être en prévision. Astoria n'avait pas envie de connaître son futur beau-père et quant au pauvre garçon insignifiant qui lui servait de fils... il jouait au baseball comme une fillette.

Février 2011 || Nouvelle vie. Nouvelle famille. Mais surtout, nouvelle école. Si la grande majorité des gens semblait bien peu digne d'intérêt, il fallait tout de même qu'Astoria parvienne à se sociabiliser. Au moins un minimum. Ainsi, elle avait passé les sélections pour entrer dans l'équipe de cheerleading de son école. Ayant commencé à pratiquer la gymnastique alors qu'elle n'avait que six ans, elle fut bien vite prise. Mais arriver en cours d'année signifiait devoir composer avec une équipe déjà bien formée. La jeune fille n'obtint qu'une place de remplaçante, mais remplaçante flyer, tout de même. Elle n'hésita alors pas à se mettre en avant le plus possible durant les matches auquel son lycée participait. Elle adorait ça, et cela lui permit de rencontrer et sympathiser avec Chelsea, une fille de sa classe qui faisait également du cheerleading. Les deux jeunes filles étaient devenues inséparables, même si Astoria avait parfois la fâcheuse tendance de se servir un peu d'elle.

15 Juin 2011 ||Au plus grand désespoir d'Astoria, sa mère venait de se remarier. Bien sûr, Peter était sympa. Mais il ne remplacerait jamais son père. A ses yeux, sa nouvelle vie ne lui ferait jamais oublier la peine qu'elle avait ressentie en quittant Londres. De toutes façons, Grand Rapids, c'était un endroit vraiment trop nul. Plus encore lorsque le nouveau couple Quinn partit en lune de miel pendant la deuxième quinzaine de juin. Astoria, alors âgée de douze vénérables années de sagesse, et forte d'un caractère consciencieux et responsable, eut la lourde de tâche de veiller sur la maison familiale, Inugami le berger Suisse et surtout, sur Harvey (venant donc en troisième position dans l'ordre des priorités de l'adolescente). Autant dire que les quelques jours ne furent pas de tout repos. Astoria chercha à jouer les petits chefs, tout en tentant, bien sûr, de faire d'Harvey son homme à tout faire. Harvey, quant à lui, ne perdit pas une seconde pour fuguer de la maison, tout simplement, laissant une Astoria paniquée appeler tout le carnet d'adresse du jeune homme. Un formidable jeu de piste avait été lancé, et la conduisit alors à rencontrer, tour à tour, Chuck et Kenji, les frères de... son nouveau frère.

Septembre 2013 || La vie suivait son cours, et les mois s'enchainaient. Cette fois encore, la rentrée arriva bien vite, et la jeune fille - toujours assez solitaire - n'avait pas réussi à se faire beaucoup d'amis depuis son arrivée aux Etats-Unis, sans doute à cause de son caractère pour le moins atypique. À l'exception de Chelsea et des amis d'Harvey, il n'y avait pas grand monde qui se bousculait au portillon, mais cela lui suffisait amplement. Les autres ne servaient à rien de toutes façons. Et puis, pourquoi vouloir se faire des amis lorsqu'on pouvait commander toute une équipe de cheerleaders ? Au grand désespoir de Brenda Nicholson, cette petite peste blonde insupportable, Astoria était devenue head cheerleader et se plaisait à mener à la baguette tout son petit monde. Le cheerleading, elle adorait ça, que ce soit passer des heures à perfectionner des figures et enchaînements ou l'adrénaline au moment des matches. Son seul regret était de devoir, par la même occasion, supporter Harvey autant que n'importe quel autre joueur de l'équipe. A chaque fois qu'il passait près d'elle, Astoria n'hésitait pas à lui tirer la langue.

Octobre 2013 || Brenda, Brenda, Brenda. Et encore Brenda. Qu'est-ce que cette fille pouvait donc avoir de plus qu'elle ? Pourquoi Harvey ne voyait-il que par elle ? Non pas qu'Astoria aurait voulu que les choses soient inversées et qu'il s'intéresse à elle... pas du tout ! Mais forcément, elle faisait la comparaison. Comme ça. Pour savoir. Pour la science. La vérité, c'est qu'il lui était bien facile de passer littéralement des heures à se questionner sur le sujet, se demandant, encore et encore, pourquoi il préférait cette fille à... à n'importe qu'elle autre. Elle était moche. Et stupide. Et elle n'avait aucun goût. En parallèle, les cours lui semblaient de plus en plus ennuyeux, tant elle n'avait de cesse de pester contre sa grande rivale. En particulier ceux de littérature. Pour tuer son ennui, cette très chère Chelsea suggéra à son amie de s'inscrire sur un réseau social très en vogue, Tinder. Elle n'avait pas l'âge requis ? Qu'importe. Elle mentirait. Après tout, Chelsea aussi avait menti sur son âge, et cela ne l'avait pas empêchée de rencontrer son nouveau boyfriend. Dans tous les cas, elle voulait simplement discuter, rien de plus. Profil créé, elle commença à checker les profils. Swipe, swipe, swipe, swipe. Trop blond, trop brun, trop souriant, trop niais, trop fragile. Ils avaient tous des défauts. Jusqu'à... swipe right. William, 21 ans. Blond aux yeux bleus avec un charme fou. It's a match.

Janvier 2014 || Les vacances de Noël semblèrent faire un bien fou à la gente masculine du lycée, et Chelsea Lewis fut la première à le remarquer le lundi de la rentrée. Alors qu'elle racontait ses vacances à Astoria - qui ne l'écoutait pas vraiment - l'apparition d'une partie de l'équipe de baseball de l'école dans les couloirs suffit à lui enlever la parole. Plus encore que tous les autres, elle focalisa toute son attention sur Kenji Yamamoto. « C'est l'homme de ma vie, Asto », s'écria-t-elle d'un seul coup. Cette dernière referma son casier en soupirant et se dirigea vers sa salle de cours, Chelsea sur les talons. « Jason, je te quitte ! », écrivait-elle presque au même moment à son ancien amour.

Avril 2014 || Les discussions Tinder se faisaient de plus en plus régulières. Astoria ne se douta à aucun instant qu'Harvey Queen se cachait derrière les messages envoyés par William. Si elle l'avait su, sans doute s'en serait-elle sentie humiliée et trahie, alors qu'elle se livrait tant au jeune homme. La confiance qu'elle lui portait, d'ailleurs, était bien grande, sans doute trop. Mais jamais elle ne su qui était le véritable émetteur des messages. Un jour elle lui proposa un rendez, et tandis que leurs échanges étaient réguliers, il mit deux longues journées pour décliner l'invitation, soulignant le fait qu'elle n'était pas intéressée par lui mais par Harvey - ce qui était tout à fait juste. Mais bien trop mal à l'aise de s'ouvrir à lui de façon si limpide, elle renonça alors qu'elle allait toquer contre sa porte.

Juin 2014 || Deux ans d'affilé, Astoria avait été la cavalière d'Harvey lors du traditionnel bal de promo de leur lycée. Mais cette fois, les choses étaient différentes. Ils n'avaient pas décidé d'y aller par défaut, faute de mieux, ou d'un commun accord suite au désistement inattendu de Brenda. Non, au contraire, Harvey avait invité la jeune femme comme elle l'avait toujours espéré, comme s'il l'avait choisie elle et personne d'autre. Voilà bien longtemps qu'elle n'avait plus été aussi heureuse. Alors, faisant de son mieux pour que tout soit parfait lors de cette soirée, elle avait choisi avec soin sa robe, ses chaussures, sa coiffure, son maquillage, le tout pour qu'Harvey soit heureux et fier d'être à son bras. Qu'il n'ait pas honte d'elle. Mais sans qu'elle ne voit les problèmes venir, elle réduisit tous ses efforts à néant en se saisissant de la flasque de Chuck pour la boire d'un seul trait. Malheureux geste de tristesse et de désespoir suite à la nomination de Chelsea et Kenji, en tant que roi et reine du bal. Si la jeune Blake était heureuse de les voir épanouis ensemble, elle aurait souhaité obtenir cette couronne, pour que la soirée soit absolument parfaite - du moins pensait-elle qu'elle le serait en devenant reine du bal. Malade et complètement ivre, Harvey la ramena à la maison rapidement, et il s'occupa d'elle toute la soirée, tenant ses longs cheveux alors que son corps rejetait tout ce qu'elle avait avalé. Aussi se confondait-elle en excuses, avouant à demi-mot les sentiments qu'elle éprouvait envers Harvey. Mais ses souvenirs restaient flous.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Post-apocalypse.
Half in the shadows, half burned in flames

. . . . . . . . . .
ARRIVÉE À DETROIT.
. . . . . . . . . .

Des coups de sifflets retentissaient à répétition, alors que le bus scolaire conduisait les élèves de Grand Rapids à Detroit pour la rencontre inter-lycées qui allait avoir lieu. Comme chaque année, ces lycées du Michigan se rencontraient autour d'un match de baseball. Grand Rapids remettait son titre en jeu cette année-là, en affrontant de nouveau Detroit qui jouait cette fois-ci à domicile. Ainsi, l'équipe de l'école au complet était en route, accompagnée des cheerleaders dont la capitaine n'était autre qu'Astoria Blake. Chuck, qui faisait partie du journal de l'école, était avec le groupe afin de couvrir l'évènement.

Août 2014 || Les écouteurs vissés sur ses oreilles, Astoria s'enfonçait un peu plus dans son siège à mesure que les minutes défilaient. Ce voyage en car était interminable, mais néanmoins nécessaire. Tandis que le Coach Dickson s'égosillait pour que l'ordre et la discipline parviennent à régner dans le car, Astoria n'avait de cesse de soupirer. Les garçons de l'équipe de baseball occupaient les sièges du fond, alors qu'à l'avant se trouvait les cheerleaders. Les garçons la fatiguaient. Surtout Harvey, qui ne cessait de se faire remarquer pour diverses raisons. Soupirant encore, elle les laissa tous se débrouiller. Après tout, tant que son équipe se comportait comme il se devait, le reste importait peu à Astoria. Mais elle serait intransigeante sur le comportement des filles, comme toujours. Et en fin de compte, celles-ci la fatiguaient tout autant que leurs homologues masculins. En particulier Brenda qui n'avait de cesse de glousser derrière Astoria. Assise à côté de Debbie, une cheerleader pas bien dégourdie mais qui faisait une formidable « base » pour les pyramides, les deux filles ne cessaient d'étouffer des petits ricanements. Monter le son de ses écouteurs pour les ignorer ne servait à rien ; la jeune Blake savait ce qui se passait, et elle pouvait deviner sans mal leurs pouffements ridicules. Grommelant une insulte incompréhensible à voix basse, Astoria se redressa immédiatement, afin de se tourner vers la source de tous ces gloussements.

Dès qu'elles virent les yeux d'Astoria se poser sur elles, les deux amies qui caquetaient comme des cocottes se stoppèrent d'un seul coup. La jeune capitaine les jaugea un instant du regard. « Brenda ta voix grinçante me vrille les tympans. Ferme-la ou je demande à Chuck de te remplacer pour ce match. Vu ton niveau ça sera pas bien difficile pour lui de mémoriser tes enchainements ». Et, sans attendre de réponse, elle se tourna de nouveau pour s'enfoncer dans son siège, sous le regard choqué de Brenda qui, de toute évidence, avait mal pris la remarque. Mais elle ne comprit que bien plus tard de quoi il était question. Alors que tous sortaient du bus, Astoria les entendit de nouveau glousser. Tout à fait prête à mettre ses promesses en application, les mots « Harvey » et « bal » la stoppèrent immédiatement dans son élan. Tandis qu'ils rejoignaient les vestiaires, la jeune fille se rapprocha des deux autres, afin de percevoir des brides de leur conversation. Elle comprit alors que Brenda et Harvey étaient de nouveau en contact, et qu'il s'était confié à elle. Plus d'une fois. Et qu'il lui avait parlé de leur tragique fin de soirée de bal de promo.

Les mâchoires crispées, Astoria déposa violemment son sac dans son casier. Les parois de fer tremblaient sous l'impact dans un bruit de fracas, et la jeune femme partit en direction de Brenda. Quelques instants plus tard, une bagarre éclatait. Toutes les cheerleaders essayaient de les séparer, mais ce ne fut que l'arrivée de Madame Brown, leur coach, qui mit fin à tout ce chahut. Et évidemment, des sanctions s'en suivraient pour Astoria, qui avait « sauvagement agressé cette pauvre enfant », aux dires de Debbie - qui subirait tôt ou tard elle aussi le courroux d'Astoria. Refusant de mettre la jeune Blake à pied pour cette rencontre importante - il fallait faire bonne figure ! -, Madame Brown prit les dispositions adéquates : ce serait le dernier match auquel participerait Astoria en tant que capitaine. L'idée de la renvoyer de l'équipe l'attirait très fortement - et se concrétiserait sans doute -, mais elle ne souhaitait pas prendre le risque de le dire pour l'instant. Un match allait avoir lieu et elle savait qu'Astoria ne coopèrerait pas si elle savait qu'elle serait renvoyée.

. . . . .

La rencontre avait été un véritable désastre. L'équipe de Grand Rapids avait perdu le match, sans aucun doute à cause d'Harvey qui « avait été beaucoup trop lent et beaucoup trop nul », selon Astoria qui ne se privait pas de pester ouvertement contre lui depuis le début de la rencontre. Ajoutons à cela les regards noirs qu'elle lui lançait et l'on obtenait un cocktail explosif. La jeune Blake lui en voulait, plus que d'habitude, c'était aussi clair que de l'eau de roche. Le coup de sifflet annonçant la fin de la rencontre venait de retentir, au grand damn du coach Dickson qui, pourtant, avait fait de son mieux pour user de phrases relativement douteuses pour réveiller ses joueurs. Pourtant, le pire était encore à venir. Des cris de terreur s'échappaient des tribunes où des gens paniquaient et se bousculaient pour fuir au plus tôt. Sans plus attendre, le coach Dickson et Madame Brown aidèrent les élèves à fuir, leur intimant de se réfugier au plus vite dans la première boutique qu'ils croiseraient ; un drugstore de l'autre côté de la rue.

Octobre 2014 || Les semaines s'écoulaient lentement. Le groupe que l'équipe de baseball et les cheerleaders avaient formés n'était plus aussi important qu'avant. Plusieurs d'entre eux avaient quitté le groupe du drugstore pour rejoindre leurs familles, et après avoir réussi à capter des appels radios, d'autres partirent pour des lieux gérés par les militaires. Ainsi, il ne restait plus qu'une dizaine de personnes, dont Astoria, Béatrice, Brenda, Chelsea, Chuck, Debbie, Ethan, Harvey, Kenji. Et bien sûr le coach Dickson. Ils s'organisaient comme ils le pouvaient afin de parvenir à survivre « le temps que tout s'arrange ». Harvey et Astoria étaient restés au drugstore. Ils n'avaient pas choisi de suivre les autres comme il aurait pu être judicieux de le faire. La raison était simple : leurs parents venaient les chercher. Harvey leur avait téléphoné en leur donnant l'adresse exacte de l'endroit où ils étaient. Peter et Ashley lui assurèrent ne pas perdre un instant pour se mettre en route. Mais l'appel que le jeune Queen avait passé remontait au mois d'août. Sans doute les routes étaient-elles barrées, sans doute avaient-ils été retardés... et bien qu'Astoria commençait à perdre espoir de les revoir un jour, dans le doute, ils ne bougeraient pas ; c'était le seul moyen qu'avait leurs parents de les retrouver.

Novembre 2014 || Les jours étaient passés, et toujours aucun signe de Peter et Ashley Queen. Il n'y avait plus de réseau, et de toutes façons, les téléphones portables ne fonctionnaient tout simplement plus. Voilà bien longtemps qu'Astoria avait perdu espoir de revoir sa mère et son beau-père vivants un jour. Pour autant, ce qui était paradoxal, c'était le fait qu'elle ne pouvait pas se résigner à penser qu'ils étaient morts. La vie continuait alors, tristement. C'était devenu de la survie. Le groupe qu'ils formaient partait régulièrement en expédition pour trouver des vivres et toute chose utile. Mais les provisions se faisaient de plus en plus rares. Les magasins et les maisons alentours étaient pillés par divers groupes de survivants. Il fallait aller encore plus loin à chaque sortie. Et s'il n'y avait que ça... mais l'ambiance était bien loin d'être idéale au sein du groupe. A la mort du coach Dickson, mordu par un décharné, Ethan avait tenté de jouer les gros bras en cherchant à prendre de force la tête du groupe. Astoria ne mit pas bien longtemps à réagir, et elle s'opposa à lui de manière assez brusque pour le faire redescendre de ses grands chevaux. Et puis il y avait Brenda, toujours aussi agaçante et petite pimbêche (du moins aux yeux bien peu objectifs d'Astoria). Naturellement, les discussions se prenaient à présent à plusieurs. Seul point positif de toute cette histoire, Harvey et Astoria parvenaient à s'entendre de nouveau.

. . . . .

Astoria, Harvey, Kenji et Chuck avaient quitté leur abri de fortune. Un centre commercial pillé depuis longtemps leur servirait de terrain de chasse. Mais plus ils progressaient dans leur avancée et plus ils s'apercevaient que récolter des vivres ne serait pas chose aisée. Tout semblait vide. Désert. Pillé. Et tout à coup des bruits de moteur se firent entendre, alors que le ciel se couvrait dangereusement. Des avions. Observant le ciel d'un oeil sceptique, Astoria suivit les garçons lorsque ceux-ci partirent en courant vers l'extérieur, persuadés qu'ils avaient une chance d'être remarqué. Mais ils se trompaient. Les avions n'étaient pas là pour les aider, mais pour tenter de détruire la menace que représentaient les rôdeurs. A cet instant, les premières bombes au napalm furent larguées sur Detroit. Tous partirent dans un course effrénée, Harvey et Kenji en première ligne. La jeune Astoria, quant à elle, se faisait de plus en plus distancer.

Dans un ultime effort pour rattraper son retard elle chercha à sauter un monticule de débris qui entravait sa route. Mais surestimant ses capacités elle finit par perdre l'équilibre. Ses pieds butèrent contre le béton, ses chaussures glissèrent sur les graviers. Ses paumes en avant par réflexe ne parvinrent pas à freiner sa chute, et la peau claire de son visage se retrouva alors bien vite marbrée de griffures rouges. La joue contre le sol, elle eut besoin de quelques malheureux instants de trop pour se remettre de sa chute, tandis qu'autour d'elle, les bombes éclataient encore. Tétanisée par la peur, elle n'arrivait pas à bouger, quand bien même ordonnait-elle à ses membres de se mouvoir. Terrorisée par le bruit des bombes et les explosions qui faisaient rage non loin, elle mit ses mains sur sa tête, ses bras contre ses oreilles, comme pour essayer de ne plus rien entendre - mais quelle erreur. Là, allongée au sol, la tête enfouie dans la terre, elle pleurait autant qu'elle le pouvait, alors qu'elle venait de comprendre que sans lui - sans Harvey - elle ne survivrait pas. Elle était toute seule, elle n'avait pas été assez rapide, et elle prenait alors conscience qu'elle ne pourrait pas échapper à l'enfer dans lequel elle se trouvait.

« Lève-toi ! »

La voix étouffée par le crépitement des bombes, la jeune femme rouvrit ses grands yeux d'un seul coup. Etait-ce lui ? « Lève-toi, Astoria ! ». L'esprit enfermé dans sa torpeur, il lui était même impossible de reconnaître la personne qui lui parlait. Harvey. C'était forcément lui. Il ne pouvait pas l'avoir laissée là, pas comme ça, pas maintenant. Malgré tout ce qu'elle avait pu lui dire comme horreur, ou à quel point elle avait pu critiquer Brenda... il l'appréciait... au moins un peu... elle en était certaine... - non, elle l'espérait juste. Bientôt elle sentit des mains agripper sa taille avec rapidité, pour l'aider à se remettre sur ses jambes. A présent elle ne réfléchissait même plus. Elle courait, sans trop savoir où, ni même comment, suivant simplement ce que lui intimait de faire celui qui l'avait aidée à se relever. Un regard en biais et tous ses espoirs s'envolèrent. Ce n'était pas Harvey. Il n'était pas revenu pour elle. Il ne reviendrait pas.

Chuck l'avait trouvée allongée au sol et il tentait de l'aider à fuir les bombes et les flammes. « On est morts » ne cessait-elle de penser. « On est morts ». Sa vue brouillée ne lui permettait pas de distinguer véritablement ce qui se passait autour d'elle. Elle ne voyait que des ombres floues et des flashes de lumière explosant de partout. Chuck lui parlait mais elle ne l'écoutait pas. A dire vrai, elle n'entendait plus rien depuis bien longtemps, comme si sa tête était entourée d'une épaisse couche de coton. Comme si elle était véritablement déconnectée du monde extérieur. Les flammes léchaient les murs, le sol, toute surface accessible. Et les bombes au napalm ne cessaient de tomber, explosant au moment de l'impact. Ils avaient beau se frayer un chemin au milieu des décombres, Astoria savait au fond d'elle qu'ils étaient encerclés, sans aucune chance de s'en sortir. Et plus les minutes passaient, et plus les lieux devenaient impraticables. Tant et si bien que Chuck était contraint de s'éloigner d'elle de quelques pas, encore et encore, au risque de ne plus pouvoir avancer.

Une épaisse fumée noire enveloppait à présent toute la zone. L'air devenait irrespirable, obligeant la jeune femme à se protéger comme elle le pouvait, avec ses mains ou le haut de son manteau. Mais cela n'était en vérité que de vaines tentatives, car elle pouvait toujours sentir ses yeux piquer et sa gorger brûler, toujours un peu plus. Et très vite les irritations qu'elle ressentait se transformèrent en une véritable quinte de toux, si forte qu'elle avait l'impression qu'elle allait étouffer. Les bombes se rapprochaient toujours plus alors qu'il semblait à la jeune femme qu'elle n'avait pas réussi à faire plus de quelques bien malheureux mètres. C'est alors que l'une d'entre elles explosa tout près d'eux. « Attention ! » avait hurlé le jeune homme, à quelques mètres d'Astoria. Mais il était déjà bien trop tard, ni l'un ni l'autre n'avait pu se mettre à couvert et bientôt le feu se propagea jusqu'à eux. Dans un réflexe désespéré il se jeta contre elle, la protégeant du mieux qu'il le pouvait. Mais c'était trop tard, les flammes lapaient déjà leurs peaux. Aux cris de panique et aux bruits des bombes se mêlaient à présent leurs hurlements de douleur. La maigre protection que l'ancien joueur de baseball lui offrit ne fut pas suffisante pour la mettre à l'abri du feu, mais néanmoins assez pour lui permettre de s'en sortir. Le jeune homme n'eut pas cette chance.

Ce qui lui avait semblé durer des erreurs n'avait en réalité été l'histoire que de quelques minutes, de longs et malheureux instants qui avaient fait basculer sa vie pour toujours. Ils avaient chuté au sol, roulé quelques instants tandis que le napalm faisait son oeuvre. La douleur était insoutenable, jusqu'à ce qu'Astoria ne ressente plus rien. Elle en était arrivée à ce stade où la souffrance était si forte qu'elle en vint à s'évanouir. La jeune femme était allongée au sol, sous des débris divers formant comme un renfoncement, et toujours à moitié protégée par le corps d'un Chuck agonisant, qui faisait barrière entre elle et le reste de la scène. De la cendre volait encore et l'air était devenu irrespirable. De longues heures s'écoulèrent. Lorsque la jeune femme revint difficilement à elle, tout était calme. Il ne restait que quelques vestiges fumants et la noirceur du ciel pour attester du carnage qui avait eu lieu.

Elle fut réveillée d'un seul coup lorsqu'une barre de fer s'abattit sur le jeune homme, afin de l'achever. Il était mort, il allait se réveiller. Ce qu'Astoria ne comprenait pas encore - l'épidémie, la transformation - les deux survivants qui l'avaient trouvée en étaient pleinement conscients. Un homme et une femme s'étaient penchés au dessus d'elle, comprenant qu'elle, elle était toujours en vie. Elle ne les connaissait pas, ne les avait jamais vu, mais ils l'aidèrent à s'extraire des décombres, et prirent la décision de la conduire dans un lieu qui pourrait, si ce n'était la soigner vraiment, du moins parvenir à soulager ses blessures. La soulevant du mieux qu'ils le pouvaient pour qu'elle ait le moins mal possible, ils partirent en direction de l'hôpital de Detroit.

. . . . . . . . . .
ST JOHN'S HOSPITAL.
. . . . . . . . . .

Décembre 2014 || Un bon mois s'était écoulé depuis que l'armée avait largué des bombes au napalm sur la partie sud de Detroit. Astoria avait été semi-inconsciente pendant près d'une semaine, et les jours qui avaient suivi avaient semblé insoutenables tandis qu'elle se tordait de douleur au moindre mouvement. Refusant catégoriquement de se faire soigner depuis l'instant où elle était véritablement revenue à elle, elle avait alors été sujette à de véritables crises d'hystérie et de larmes. Son mauvais caractère jouant indéniablement dans sa prise de position, sa véritable motivation résidait dans le fait d'éviter toute autre souffrance. Traumatisée par ce qu'elle était contrainte de subir, elle préférait l'isolement à la compassion ; la solitude à une main aidante. Les soins n'étaient pourtant pas très poussés : quelques baumes appliqués sur les plaies protégées par de larges bandages. Mais la douleur était trop grande, à l'instar de son égo. Son amour propre l'empêchait de se laisser faire, et elle préféra souffrir, allongée à plat ventre sur le lit de camp de fortune qui était sien. Astoria n'acceptait les traitements que lorsqu'elle n'en pouvait plus.

Janvier 2015 || En colère contre le monde entier, elle ne parlait à ses semblables que pour les remettre à leur place ou leur ordonner de la laisser en paix. Elle avait alors bien vite obtenu ce qu'elle souhaitait, la solitude et le silence. Mais Astoria n'était pas la seule à souffrir, que ce soit physiquement ou psychologiquement. Toutes les personnes présentes au Saint John's Hospital avaient un vécu, une histoire malheureuse, la jeune femme n'était pas une exception. On l'avait bien sûr recadrée quelques fois, elle et sa mauvaise humeur, au point de prendre le parti d'ignorer le monde alentours. Et dès lors elle se fit la plus absente possible, passant le plus clair de son temps complètement isolée. Elle ne leur faisait pas confiance, à aucun d'entre eux. Ni aux militaires, ni aux civils. Mettant ainsi tout le monde dans le même panier et devenant encore plus suspicieuse et exécrable qu'elle ne l'était en général ; elle vivait en parallèle d'eux. Et surtout en prenant grand soin de leur donner le moins d'informations possibles sur elle. Elle parlait le moins possible, tant et si bien que rares étaient ceux qui connaissaient le son de sa voix. Tant mieux après tout, car cela permettrait de ne pas percevoir son accent anglais. Ce dernier persistait dans certaines de ses intonations, malgré les bouleversements qu'elle avait subis de ce côté-là suite à la fumée inhalée.

Mars 2015 || On la laissait tranquille. Plus ou moins. Astoria continuait de faire sa vie en se mêlant aux autres le moins possible. Elle ne faisait que le strict minimum pour rester en leur compagnie, sans chercher ni à se faire apprécier ni à véritablement se faire accepter. Sans doute la laissaient-ils rester car elle était convalescente. Sans doute aussi car le couple qui l'avait conduite au St John's Hospital était également présent. Plus appréciés qu'elle ne l'était, ils étaient intervenus l'un comme l'autre lorsqu'elle avait été à deux doigts d'une altercation avec d'autres survivants, séparant les intéressés. Les vives douleurs qu'elle ressentait n'avaient calmé en rien son côté belliqueux. Plutôt souffrir que se laisser marcher dessus. Mais par la force des choses, elle dû accepter l'idée que plus elle se ferait remarquer et plus la vie deviendrait difficile pour elle. Dès lors, elle se fit violence pour refreiner son caractère.

Juin 2015 || Astoria allait un peu mieux. Du moins autant que possible. Elle souffrait toujours et elle en était donc d'autant plus irascible, mais la solitude l'apaisait. Elle remettait sa vie en question, ses buts et ses aspirations, comprenant qu'il lui était devenu indispensable de s'adapter dans ce nouveau monde. Il ne lui avait pas fallut bien longtemps pour comprendre que la médecine était une clé nécessaire à la survie de tous, et ainsi elle s'y lança à corps perdu. Les maux dont elle souffrait et les handicapes nouveaux qui étaient siens, avaient servi d'éléments déclencheurs, et quoi de plus approprié qu'un ancien hôpital pour accéder aux bases du savoir médical ? Depuis des mois maintenant elle passait ses journées dans l'ancien bureau d'un chirurgien. Si la quasi totalité des ouvrages était d'un niveau beaucoup trop poussé pour qu'elle ne parvienne à en comprendre le sens, il en était tout de même quelques uns à sa portée. Elle connaissait les bases de la théorie, les premiers secours et la médecine élémentaire. Plus elle lisait, plus elle enrichissait son savoir. C'est dans ce même bureau qu'elle avait trouvé quelques semaines plus tôt, un coupe-papier qu'elle jugea bien utile. Petit, discret, il se cacherait facilement et serait une arme pratique si elle était amenée à s'en servir. Pour l'instant elle était relativement préservée du fait de sa nécessité à rester au calme à cause de ses blessures, mais viendrait un jour où, forcément, elle devrait entrer dans la réalité.

Septembre 2015 || Après presque un an à vivre au St John's Hospital, Astoria décida de s'en aller. Elle qui ne s'était jusque là jamais entendue avec ses semblables sentait bien que les choses étaient de pire en pire. Depuis que l'armée avait quitté les lieux, Astoria se méfiait d'autant plus des autres. Encore plus de Gemma, le nouveau leader. Le colonel Toledo était sans doute un dirigeant abject, mais il avait néanmoins le charisme nécessaire pour qu'Astoria coopère un minimum aux ordres donnés. A l'inverse, elle n'était pas décidée à accepter bien longtemps d'être sous la direction d'une civile. A la fin du mois, elle avait quitté l'hôpital.

. . . . . . . . . .
ON THE ROAD
. . . . . . . . . .

Octobre 2015 || Astoria n'était pas encore tout à fait certaine de savoir si quitter le St John's Hospital était ou non une bonne idée. Mais quoi qu'il advienne, elle serait sans doute bien trop obstinée pour se résigner à faire demi tour. Errant dans les rues de Detroit avec les quelques rares effets personnels qu'elle avait conservés - dont son coupe-papier et des manuels de médecine et de botanique - elle avait conscience de devoir parer au plus pressé : trouver un abri, de la nourriture et un peu d'eau. Elle trouva finalement refuge dans un ancien magasin, une petite boutique de quartier qui ferait amplement l'affaire. Le distributeur éventré qui s'y trouvait contenait encore un malheureux paquet de bonbons oublié ; cela lui servirait de repas. Se roulant en boule dans la couverture qu'elle avait emportée avec elle, Astoria parvint à prendre quelques heures de repos. Un sommeil bien peu réparateur, car la jeune fille ouvrait l'oeil au moindre bruit ; il était tout juste cinq heures du matin lorsqu'elle se réveilla complètement. Refermant son sac en bandoulière, elle était prête à partir. Mais à peine avait-elle fait quelques pas dans les rues sombres qu'elle entendit des pas trainants suivis par les gargarismes ineptes qu'elle reconnut bien vite ; des morts. En fait, un seul cette fois. Astoria n'avait encore jamais tué, ni vivant ni mort. Pour autant, elle se saisit de son coupe-papier, le coeur battant, prête à frapper au besoin.

La chose fut définitivement la plus rapide des deux. Une toute petite créature de peut-être 1m30 tout juste, vêtue d'une jupe à carreaux et d'un pull rose sur lequel retombaient ses longs cheveux blonds bouclés. Elle aurait pu ressembler à n'importe quelle autre enfant d'une petite dizaine d'années s'il n'y avait pas eu sur ses vêtements et sa peau des traces de terre ; si le tissu et la laine qui la couvraient assez mal n'étaient pas déchirés ; plus encore si des taches écarlates ne recouvraient pas tout son être. La couleur bleu ciel de ses yeux vitreux était à peine perceptible grâce à la lumière blafarde du jour qui se levait tout juste. Et tandis qu'Astoria était encore adossée au mur d'une ruelle, elle ne parvint pas à éviter cette pauvre enfant qui se jetait sur elle. Sans doute à cause de ce qu'elle avait sous les yeux, un petit être chétif qui, dans d'autres circonstances et dans un autre monde, n'aurait pas été une menace ; c'était la première fois qu'elle était vraiment confrontée à l'une de ces créatures. Tant bien que mal la jeune femme parvint à la maîtriser, manquant de peu de se faire mordre à au moins trois reprises. Les doigts crispés sur le manche de son coupe-papier, elle voyait ce petit être se débattre péniblement pour s'échapper de sa prise, et alors elle comprit qu'elle ne pourrait pas le faire ; elle ne pourrait pas l'achever. Pour ne pas qu'elle l'attaque encore, Astoria la fit entrer dans la boutique où elle s'était cachée la nuit d'avant, à bout de bras, et elle quitta les lieux quelques instants plus tard, sans se retourner.

10 Novembre 2015 || La solitude avait de bons côtés - surtout pour une personne comme Astoria qui avait tellement de mal à s'entendre avec les autres - mais elle en avait également bien des mauvais. Se débrouiller toute seule pour survivre n'était définitivement pas chose aisée. La nourriture se faisait rare, l'eau d'autant plus. Quant aux lieux sûrs, il n'y en avait tout simplement pas. Les jours se ressemblaient tous, rien ne venant perturber une bien triste routine. Mais ce jour-là, alors que le mois de novembre touchait à sa fin, quelque chose attira son attention. Un message écrit à la bombe de peinture sur le mur d'un vieux bâtiment délabré. Plusieurs minutes lui furent nécessaires avant de parvenir à bouger de nouveau ; elle en lâcha d'un seul coup son sac en bandoulière. Là, elle pouvait voir son prénom inscrit en lettres capitales, ainsi que des coordonnées, une adresse, un point de repère pour, de toute évidence, lui permettre de les retrouver. Son groupe, celui qu'elle avait perdu au moment où l'armée avait lâché des bombes au napalm sur Detroit... Mais plus encore pour le retrouver lui, Harvey. Il avait écrit ce message pour elle, signant d'un « H », sans doute pour qu'elle sache que c'était bien lui. Tout en portant l'une de ses mains à ses lèvres, elle effleura le message du bout des doigts. Son coeur se mit à battre plus vite encore, réalisant la portée de ce qu'il lui offrait : une chance de le retrouver, et de retrouver ses proches, ceux qui comptaient le plus pour elle. Un bref instant elle revit l'image de Chuck achevé par le couple de survivants qui l'avait conduite à St John's. Secouant la tête pour que ces sombres souvenirs la quittent, elle s'accroupit immédiatement et sortit de son sac la carte de la ville qu'elle avait trouvée dans une boutique désaffectée et elle entreprit de chercher leur repère.

15 novembre 2015 || Plusieurs jours furent nécessaire à Astoria pour se frayer un chemin dans ce qu'était devenu Detroit. Aux moments d'adrénaline pour tenter d'échapper aux morts qui rôdaient, se mêlaient des périodes d'accalmies, bien trop angoissantes pour être reposantes. Parfois il fallait attendre, en silence, qu'un groupe s'éloigne. Patienter jusqu'à ce que le moment propice arrive. A cela s'ajoutait l'angoisse qu'elle ressentait : les coordonnées inscrites par Harvey correspondaient à un lieu situé à l'autre bout de la ville et elle ne pouvait s'empêcher de craindre s'être trompée ; la peinture était un peu effacée par endroits. Ces quelques mots lui avaient permis de retrouver un peu d'espoir. Mais tout s'effaça en un instant lorsqu'elle trouva l'ancien lieu de vie de celui qui avait toujours tenu une place si importante pour elle. Un véritable carnage avait eu lieu. Tout était dévasté. Les quelques rares meubles présents étaient en miettes, mais le pire était sans doute les importantes traces de sang qui maculaient la pièce. Un peu plus loin se trouvaient deux corps sans vie au crâne perforé. Elle s'effondra au sol, en larmes.

. . . . . . . . . .
N.I.H. VIROLOGY CENTER
. . . . . . . . . .

Janvier 2016 || « Harvey est mort. Il a été tué. Je ne le reverrais jamais ». Depuis qu'ils avaient été séparés, Astoria s'était efforcée de ne pas penser au pire, de ne pas s'inquiéter. Pour elle, Harvey était solide, fort. Plus qu'elle sans doute. Et plus qu'il ne le savait peut-être lui-même. Mais découvrir ces locaux saccagés l'avait obligée à affronter la réalité des choses. Il était mort, et elle était toute seule. Après de longues semaines à traîner dans les rues de Detroit sans avoir d'endroit sûr où rester, la jeune femme arriva aux portes du N.I.H Virology Center, un laboratoire abandonné qui avait à présent une toute autre destination ; l'édifice servait maintenant de refuge à un groupe de survivants. Mise en quarantaine pour plusieurs jours afin de pouvoir surveiller toute chose anormale chez la jeune femme, elle intégra officiellement le groupe après cela.

Mars 2016 || La vie au N.I.H semblait convenir bien plus à Astoria que sa précédente survie dans les rues de Detroit, et plus encore que celle qu'elle avait menée au St John's Hospital. Elle était ici plus apaisée, sans doute parce que les mois étaient passés et que, si elle n'acceptait pas encore la vie qu'elle devait à présent mener, au moins elle la supportait. Comme ses blessures qui ne guériraient jamais véritablement et avec lesquelles elle apprenait progressivement à vivre. Elle avait prit le parti de se concentrer sur d'autres choses, sur tout ce qu'elle pouvait pour ne pas y penser. La science et la recherche semblaient être les clés qui lui permettaient de retrouver espoir. Totalement obnubilée par l'idée qu'un traitement serait un jour trouvé pour enrayer l'épidémie, elle passait ses journées le nez plongé dans les livres, prenant des notes sur un petit carnet lorsque quelque chose lui semblait intéressant, et poursuivant ses recherches de son côté en fonction de ses remarques personnelles. Elle n'était pas une grande scientifique, c'était certain. Mais il fallait lui reconnaître une incontestable volonté ; presque de l'acharnement. Il ne fallait pas chercher bien loin cependant : cela lui permettait d'oublier.

Avril 2016 || La théorie c'était bien ; la pratique, ce serait mieux. Il fallait du concret. Et un jour, elle repensa à cette petite fille contre qui elle s'était battue et qu'elle avait enfermée. Profitant d'une sortie, elle retourna à l'endroit-même où elle l'avait laissée ; elle était encore là. Ce serait le cobaye parfait.

Juin 2016|| Rien ne fonctionnait. Mais Astoria essayait, encore et encore, se plongeant corps et âme dans ses projets. L'épidémie était responsable des souffrances qu'elle avait endurées et des pertes qu'elle avait subies. A ses yeux c'était une équation logique : trouver un remède permettrait de faire cesser les malheurs de tous. Tentant vainement de produire quelque chose de plus ou moins concluant à appliquer sur Dolly - c'était ainsi qu'elle avait renommé la pauvre enfant - elle cherchait la moindre petite plante à mettre dans son mortier et à passer sous son pilon. Loin d'être de véritables instruments, elle avait fait ce qu'elle pouvait pour qu'ils ressemblent à des vrais, avec des objets de récupération ; un bol ébréché et le manche d'un vieux tournevis.

Astoria passa le reste de l'été à poursuivre ses recherches, quittant le laboratoire qui l'avait accueillie aussi souvent qu'elle le pouvait. Le tout dans la plus grande des discrétions, elle s'assurait que personne ne soit au courant de tout cela, prenant grand soin de n'éveiller aucun soupçon.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .