Tell them I won't fall.

Il n'y a pas de prince. Il n'y a pas de chevalier non plus. Il n'y a pas de sauveur. Il n'y en a jamais eu. Il n'y en aura jamais. Voilà la triste vérité de ce monde. Voilà la triste vérité de l'Homme. Dans ce monde, nous vivons chacun pour nous. Même le plus altruiste est un égoïste déguisé. Si nous aidons les gens, c'est pour notre propre conscience, pour se sentir bien. Si je protège le petit être que je tiens dans mes bras, c'est parce que je ne saurais pas vivre sans elle. « Noa ? J'ai peur, Noa... » murmure-t-elle les yeux embués. Un cauchemars sans doute. Je rechigne d'utiliser mon don sur elle, car elle doit affronter ses cauchemars seuls. Nous le devons tous, afin d'être forts un jour. « Je suis là Anya... » J'embrasse son crâne, tendrement, à la manière d'une mère. Anya n'est pas ma fille pourtant, elle est ma soeur. L'enfant que ma mère a ramené un jour à la maison. « Tu vas devoir t'en occuper comme si c'était ton bien le plus précieux ». Le jour suivant, elle avait disparu. Anya n'était qu'un bébé, et moi je n'étais qu'une enfant. C'est moi, d'ailleurs, qui l'ait appelée Anya. À l'époque, on m'appelait encore Juliet. « Ne me laisse pas ... » « Jamais. »


Juliet Noa Park. C'est mon nom complet. Je suis la fille d'une "sirène". Une prostituée en sommes. Une veöht dont je ne me souviens pas du visage. Il me semble qu'elle était jolie, mais c'est peut-être mon imagination, qui sait ? Mon père bien sûr, je ne l'ai pas connu. Au début je pensais qu'il s'appelait Noa, mais peu avant de disparaître j'ai appris que ma mère m'avait donné ce nom car elle aurait voulu avoir un garçon. Serait-elle restée avec nous si j'en avais été un ? Je n'en sais rien.

Quand j'avais neuf ans, ma mère est arrivée à la maison avec un bébé. Tout petit. Une petite fille. À la manière dont elle la tenait, on aurait dit qu'elle avait recueillie un chaton égaré. Mon premier réflexe fut de faire remarquer que l'on avait pas d'argent pour une troisième bouche à nourrir. C'est alors qu'elle m'a dit que "ce bébé" était ma petite soeur. Je l'ai regardé incrédule, elle ne me ressemblait pas. Bien sûr que non, nous n'avions pas le même père. Et puis, c'était un bébé, elle n'avait même pas de cheveux. Ma mère me fit promettre de prendre soin de ma petite soeur. Je ne voyais pas trop quelle utilité je pouvais avoir, mais j'acceptai sans rechigner. Puis il fut l'heure d'aller dormir. Au réveil, il n'y avait plus que le bébé et moi. Ma petite princesse, ma Anya. Ce jour-là, j'ai dit adieu au peu d'enfance qu'il me restait. J'ai pris mes responsabilité, endossé mon rôle de grande soeur, car cet enfant n'avait plus que moi. Je devais être forte pour nous deux. J'en voulais à ma mère bien sûr, mais je n'ai jamais pleuré. Je n'avais pas le temps de m'apitoyer. Aujourd'hui, je ne l'ai toujours pas.

Ma plus grande crainte fut, pendant les deux années qui suivirent, d'être séparée d'elle. Il y a tant de facteurs qui auraient pu nous envoyer dans deux directions opposé. Le plus grand danger était bien sûr le test que je dus passer pour savoir si j'étais Veöth, et quel don j'avais. La maîtrise des rêves. Mon premier réflexe fut de soupirer d'aise : je ne serais pas une combattante intéressante, à envoyer à l'arène. Puis je me rendis compte de l'atroce vérité : je ne serai pas non plus simple ouvrière. À quoi pouvait servir ce genre de don ? Au confort des gens, peut-être. Oui, c'était cela, j'aurais dû finir dans un centre de remise en forme sans l'intervention d'un homme. Un étrange individu, monsieur Roy. Celui-ci avait deux enfants. Et bien sûr, comme tous les enfants, ils faisaient des cauchemars. Voici comment je suis devenue - officiellement - femme de ménage chez les Roy. En vérité, j'étais surtout là pour veiller sur le sommeil des gamins, mais qui s'en soucie ?

C'est de cette manière que j'ai pu continuer à m'occuper de ma soeur, pour mon plus grand plaisir. La journée, c'était la voisine qui s'en occupait, je lui donnais une partie du peu d'argent que j'avais pour ça. Puis le soir, je m'occupais moi-même d'Anya. Je l'élevai comme je pus, alors que je n'étais encore qu'une enfant. Heureusement pour moi, la voisine compensait en matière d'amour et d'enseignement, tandis que de mon côté, je couvais Anya de tout l'amour que je pouvais lui donner. Je n'avais jamais rien, je mangeais peu, je gardais mes vêtements jusqu'à ce qu'ils soient immettables. Tout ça m'était bien égal, tant que ma soeur était bien soignée.

Aujourd'hui, Anya a huit ans, et moi j'en ai dix-sept. J'ai encore quelques années devant moi avant de pouvoir prétendre sortir de ma condition. Avant de devenir ce qu'ils appellent "une rebelle". Pas tant que je n'aurai pas la certitude que ma soeur n'est pas en sécurité. Alors en attendant, je trime, je galère, je survis. Je fais du bien que je peux. Mais au fond sommeille mon désire de revanche sur la vie. Et je l'aurai. Coûte que coûte. Peu importe l'âge que j'aurai quand ce sera possible.